top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurLes instants du temps

Tatane's blues




« On peut dire beaucoup de choses des gens en regardant leurs chaussures. Où ils vont. Où ils sont allés. » Mark Twain.


Ce que je vois en premier chez les autres, ce ne sont ni le visage ou les yeux, mais les chaussures. Ce ne fut pas toujours le cas. Cela m’est soudainement arrivé il y a une dizaine d’années. Jusque-là, comme tout le monde, dans la rue, telle ou telle silhouette m’attirait l’œil, un regard révélait un caractère, une mimique m’inspirait. Puis, je me suis mis à évaluer mes contemporains à partir de leurs chaussures.


C’est que les godasses sont multiples, étonnamment diverses, changeantes avec les saisons, les modes, les lieux, le sexe, mais elles sont toujours révélatrices de l’état d’esprit de celle ou celui qui les porte.


Il y a, bien sûr, l’aspect ciré ou non qui en dit long sur chacun.

Chaussures de couleur noire ou marron, clair ou foncé, ternes et quelque peu crottées : on peut en déduire plusieurs hypothèses. Tout d’abord, il est fort probable que le porteur de ces chaussures a su répondre négativement au vendeur qui lui a proposé 3 types de cirage pour quelques euros de plus et une garantie de 4 ans, kilométrage illimité. C’est donc quelqu’un qui possède un caractère bien affirmé. En 2° lieu, c’est, vraisemblablement, quelqu’un qui doit donner plus de valeur au fond des choses qu’à la superficialité et au court-termisme. Je parie que son bureau déborde de piles de dossiers, que le fil de son téléphone tirebouchonne et que sa boîte mail regorge de rendez-vous pour réunions, demandes de réponses, commandes d’études …. Il ne s’occupe que de l’essentiel.


Mais, autre hypothèse, il se peut aussi qu’il n’a pas eu le temps ce matin, qu’il espérait encore que son épouse allait pallier sa coupable distraction ou qu’il doive marcher tout-terrain pour rejoindre son lieu de travail. Ces différentes propositions révèlent, en tout état de cause un employé, peut être un cadre moyen mais certainement pas un dirigeant.


Car ce dernier ne les chausse que cirées. C’est aussi vrai pour les conseillers proches du pouvoir comme l’exemple nous en fut donné par l’un d’entre eux en plein cirage de pompes sous les lustres élyséens.


Examinons le cas de la chaussure multicolore et/ou multimatières. La filmographie ayant nettement associé le soulier bicolore, blanc et noir, à la mode zazou ou à des « décideurs » siciliens, leur port ne peut, aujourd’hui, engendrer qu’ambiguïté.



Eliminons également le cas des footballeurs actuels qui ont, en même temps que le tatouage, adopté une tatane d’une couleur à gauche et d’une autre couleur à droite, car ce n’est que la marque d’une prothèse mentale pour leur rappeler leur pied le plus habile.


Je ne suis pas le seul à induire une réalité à la simple vision d’un escarpin de couleur.

« Lorsque j'ai vu... les souliers verts Des souliers verts à talons hauts Dans l'garde-robe J'les ai r'gardés droit dans les semelles Et ça puait la maudite femelle »

Que penser, enfin, de la chaussure blanche ?

Elle ne peut être qu’immaculée, accompagnant généralement un vêtement léger et clair en période de vacances. Mais, il faut bien reconnaître que, seuls, les joueurs de pétanque de la place des Lices savaient la chausser avec élégance.


Puisqu’il est question de vacances, il convient de porter le regard et l’attention sur la godasse décontractée. Comme je l’ai signalé, je suis affligé d’une étrange attractivité visuelle vers les pieds, aussi suis-je en mesure de relater quelques expériences significatives qui m’ont fouetté l’imaginaire.


Terrasse d’un bar dans une station balnéaire de la côte d’Opale. Après quelques journées de pluie (cela arrive parfois à cet endroit), un soleil relatif m’avait incité à m’attarder en terrasse. Les yeux mi-clos je m’abandonnais à la rumeur ambiante et laissait divaguer mon esprit. A un moment se sont installées à la table voisine, bizarrement inoccupée jusque-là, deux ballerines bleu-azur. Elles me sont apparues d’une incroyable fragilité, d’une provocatrice insouciance au regard des flaques d’eau subsistantes. Tous les autres pieds portaient encore des lourds brodequins, quelques bottes et, au minimum, des baskets à triple semelle. Je relevais les yeux vers la transgressive. Elle était habillée d’un long imperméable verdâtre, bien plus logique en ce temps encore mouillé, mais rendant encore plus incongru le bleu-azur sur pieds nus. Après déductions de type Hercule Poirot, j’ai estimé qu’elle ne pouvait être qu’anglaise.


Autre expérience lors d’un festival du livre dans le Sud de la France, en été. Lors d’un débat avec un auteur, l’espace dédié était bondé et quasiment tout le monde était debout. J’avais pu m’asseoir sur un muret. C’est dire que j’avais, à hauteur des yeux, une trentaine de fessiers et autant de paires de grolles. En plus des habituelles sandales informes et baskets de tous genres, ce qui est classique, je remarquais le fagotage à la mode pour les jeunes femmes : gros godillots cloutés, collants épais sous courte jupette légère. Je songeais à l’impact du marketing, de l’effet de mode qui invitait celles qui « espéraient rester dans le vent » à s’accoutrer lourdement, chaudement, inesthétiquement, par une température, désormais ressentie, d’au moins 35 degrés. Look Doc Martens et plusieurs d’entre elles avaient sans doute les ongles et les lèvres peintes en noir. Land of chaos pour cette année-là, année sombre qui tranchait avec la mode précédente faite de ballerines et robe blanche froufroutante, en broderie.



Les sandales ou sandalettes, avec ou sans chaussettes, arrêtent peu mon regard, sauf si les chaussettes sont noires et montent jusqu’aux genoux. Il est, également, peu aisé de garder une certaine prestance avec le look sandales, bermuda en forme de sac de patates, t-shirt publicitaire ou exprimant une pensée profonde ou une interjection qui se veut décalée. Quant aux porteurs de crocs fluo, c’est l’exubérance affichée jusqu’aux orteils, alors que les espadrilles au design fleuri éloignent la morosité.



En fait, ce sont les tongs, les gougounes, les claquettes, si bien nommées, qui m’interpellent le plus.

Pas celles portées pour des raisons économiques dans certains pays pauvres, semelles taillées dans des pneus hors d’usage …

Pas celles qui restent sagement sur la plage ou au bord des piscines mais celles qui entrent dans la ville, pénètrent dans les bureaux, s’invitent même à la Maison Blanche (rencontre avec le président Bush dans le bureau ovale).





Les tongs ont une longue histoire et sont devenues, aujourd’hui, un phénomène culturel, une tongamania.

Sur des sites internet ou dans des magasins spécialisés (pyramides de tongs de plusieurs mètres de hauteur), on en trouve de toutes sortes, de toutes formes (tongs poisson avec écailles et queue de sardine ! ) de toutes couleurs, tongs compensées avec les motifs les plus ridicules…etc.





Comme elles accompagnent, désormais, les cocktails ou soirées « people », on peut trouver des tongs de luxe ; elles sont ornées d'un diamant, signées Chanel (et adoptées par Cameron Diaz !!) ou encore la fine « Tong Biarritz » à lanières dorées proposée par Yves Saint Laurent.


J’ose le dire : J’ai une aversion pour les tongs hors de leur environnement naturel.

Leur élégance n’est pas leur qualité première et elles engendrent l’idée de négligé (décontracté, diront leurs laudateurs) et de poubelle à bactéries qui devrait inciter à ne pas les porter n’importe où.

Imaginez un instant la scène suivante. Vous êtes tranquille, la rue est calme, vous flânez sur un trottoir, au soleil et soudain, derrière vous,… ploc, ploc, ploc…des tongs à l’approche…vous laissez passer car ce son crispe les oreilles… c’est ce que j’appelle le supplice chinois car là-bas, il se mélange avec un «trainouillage» de semelle du plus désastreux effet. Une fois derrière l’auteur briseur de sérénité, vous apercevez une plante de pied crasseuse qui se découvre à chaque pas et qui a dû rencontrer vieux chewing-gums, poussière diluée dans les flaques d’eau, crottes et urine de chien …Beurk.


Les « tongistes » sont, incontestablement, sado-maso. D’un côté ils imposent un spectacle qui peut être peu ragoutant, une pollution sonore proche du supplice de la goutte d’eau, de l’autre, leur pseudo liberté plantaire est généralement contrariée par le vicieux petit caillou, par cette languette qui s’insinue entre 2 doigts de pied comme le filet du string dans la raie et conduit tout droit à la prise de rendez-vous chez un ou une podologue.


Que le lecteur porteur impénitent de tongs me pardonne, j’ai profité de ma liberté d’expression et suis ouvert au débat d’idées. Pour preuve de mon impartialité, vous trouverez les tenants du pour et du contre de « la tong en ville » en suivant ce lien.



Que l’on ne s’y trompe pas, mon attention pour le chausson n’a rien à voir avec la podophilie, le fétichisme condamnable.

Il ne s’agit pas non plus d’une addiction profonde relevant du secours psychiatrique. Non, je n’ai pas le même intérêt qu’un certain ex-secrétaire d’état pour le bien-être podal de ses secrétaires. Certes, j’ai bien conscience du caractère érotisant du pied féminin. En Égypte ou encore à Rome, les prostituées avaient interdiction de porter des chaussures afin d'attiser le désir des hommes. On trouve cette fascination sexuelle pour les pieds dans la littérature avec Octave Mirbeau, le marquis de Sade ou dans le cinéma avec Quentin Tarantino, Pablo Almodovar.

Enfin, le créateur de souliers Christian Louboutin affirme « Le soulier doit déshabiller et non habiller. Un soulier réussi est un soulier qui laisse la femme nue ».A la condition que la semelle soit rouge, bien sûr ! Ce type de souliers est si cher qu’on les appelle « pompes à fric ».




Alors, d’où me vient cette dépendance aux tatanes, cette inclinaison podale ? la raison est extrêmement prosaïque, je suis devenu mal voyant avec ce détail pathologique qui empêche de distinguer les visages et, plus globalement, tout ce qui se situe vers le haut. On m’a enlevé le haut en quelque sorte. Les yeux vers le bitume, je suis condamné aux visions de bas étage. Comme le dit Pierre Assouline, « je me reflète pour l’essentiel au ras du sol ».


Au moins, la situation me permet de garder les pieds sur terre et, à défaut de bon œil, d’avoir bon pied.




- Ricet Barrier et Les Parisiennes


- Rendez-moi mes Tongs


- Mes souliers sont rouges


- Felix Leclerc « Moi, mes souliers »


- Cristine et Les chaussures







Inscrivez-vous pour être informé du prochain post.


Partagez sans modération.


Enrichissez ce billet avec vos commentaires.


(voir ci-dessous).




15 vues2 commentaires

Posts récents

Voir tout

2 comentarios


marie.adams.0985
01 abr 2023

Nancy Sinatra parlait à ses boots https://www.youtube.com/watch?v=SbyAZQ45uww

et si les chaussures envoyaient des messages ?


Me gusta

berthejean
23 mar 2023

L'auteur de cet article m'a mis sur la voie.


Entre l'hallux et le depasus s'enfile le tong.


Que dire du string?


Me gusta
Post: Blog2_Post
bottom of page