Paradoxes ?

RER C. 18h15. La rame est bondée à cette heure de sortie des bureaux. Elle est également silencieuse : lecture des journaux, des mails et autres messages. Soudain, une voix forte s’élève : « Ma chérie, je suis là dans 30 minutes. J’ai hâte de te retrouver. Je t’embrasse déjà…». Tout le monde fait semblant de n’avoir rien entendu. Mais, la voix poursuit : «je reviens avec un cadeau qui devrait te plaire…» Et, comme il a mis le haut-parleur de son téléphone, on entend distinctement une voix jeune répondant «Je t’attends, j’ai mis les habits sexy que tu aimes tant ». Alors, tout le monde cherche l’heureux propriétaire de ce téléphone. C’est un monsieur plutôt âgé, un peu guindé et manifestement un peu sourd. La conversation continue sur le même registre prometteur. Les sourires apparaissent sur les lèvres du voisinage du vieux monsieur jusqu’à ce qu’une bonne âme se dévoue et lui fait comprendre que sa conversation et son intimité sont largement partagées.

Cette anecdote vécue témoigne de l’exhibitionnisme auditif qui nous assaille, désormais, partout et, particulièrement, dans les transports en commun.

Il y a quelques temps, avant le smartphone, on s’enfermait dans une cabine, on refermait avec soin la porte afin qu’aucun son ne parvienne aux oreilles éventuellement indiscrètes. Et l’occupant (te) lançait un regard noir à qui posait une épaule contre la paroi vitrée.

Autre temps, autres mœurs.

Dans le même ordre d’idées, le journal intime, secret, caché, dissimulé, laisse, désormais, place au grand déballage impudique au travers des réseaux asociaux. On se raconte, on s’exhibe, on n’a plus rien à cacher. La téléréalité en fait des vedettes !

Paradoxe temporel ? ou devrais-je plutôt parler de contradictions, de bizarreries et autres incohérences car la définition du « paradoxe » est complexe.

Une première définition indique que les paradoxes sont des affirmations qui semblent véridiques, mais qui génèrent une contradiction qui les empêche de se poser en tant que vérité absolue.

Quelques exemples :

- il est interdit d’interdire.

ou encore ces 2 phrases paradoxales

- La phrase ci-dessous est vraie

- La phrase ci-dessus est fausse

Un paradoxe célèbre est celui du barbier.

- Un barbier déclare : je ne rase pas ceux qui se rasent eux-mêmes, mais je rase tous ceux qui ne se rasent pas eux-mêmes.

- Question : le barbier se rase-t-il lui-même ? S’il se rase, il ne se rase pas, et s’il ne se rase pas, alors il se rase.

Autre paradoxe célèbre, celui du pendu.

- Un juge condamne un accusé à la pendaison. Celle-ci aura lieu en matinée, la semaine suivante, sauf le week-end et le jour de l’exécution sera une surprise absolue pour le condamné

- Une fois retourné dans sa cellule, le condamné à mort essaie de déterminer le jour de son exécution. Il se dit : la « pendaison surprise » n’aura pas lieu le vendredi. En effet s’il survit, lundi, mardi, mercredi et jeudi, alors dernière possibilité, le vendredi. Dans cette hypothèse, le jour de son exécution ne sera pas une surprise. Donc ce ne sera pas un vendredi.

- Ensuite il élimine aussi le jeudi, car se dit-il, si je suis encore vivant mercredi soir, comme le vendredi est éliminé, ce sera forcément le jeudi. Dans ce cas à nouveau ce ne serait pas une surprise.

- Reste les 3 premiers jours de la semaine. Mais en appliquant le même raisonnement il évacue également ces jours-là. Il en conclut qu’il ne sera jamais exécuté !

- Pourtant quand le bourreau vient le chercher un mercredi matin, malgré ses réflexions rassurantes, il est surpris. Le juge avait donc bien raison.

Ce paradoxe a longtemps posé problème aux philosophes et mathématiciens.

il est probable de devenir fou en tentant de démêler les différents paradoxes contenus dans ce lien :Liste des paradoxes connus

Le paradoxe peut être, également, une figure de style reposant sur le rapprochement de mots opposés au sein d’une expression dépourvue de sens logique… Du moins en apparence !

Ainsi, Jacques Prévert a écrit : « Paris est tout petit, c’est là sa vraie grandeur. »

La publicité s’en est emparée avec quelques slogans connus :

- « Vivement aujourd’hui »

- « Et si cette année vous trompiez votre amant avec votre mari ? »

D’apparence absurde, le paradoxe peut inviter à réfléchir ou révèle une vérité.

Une dernière définition, plus proche des bizarreries et incohérences, propose :

Paradoxe : Être, chose ou fait qui paraissent défier la logique parce qu'ils présentent des aspects contradictoires. C’est aussi une opinion qui va à l’encontre de l’opinion courante, de la logique ou de la raison.

Exemples :

- Pourquoi les kamikazes, c'est-à-dire les pilotes japonais chargés d'explosifs, portaient-ils des casques ?

- A la télé, le film « Joyeux Noël Charlie Brown! » qui dénonce l’hyper consommation de la période des fêtes est allégrement coupé pour laisser plus de place à la publicité.

Avec cette définition, on trouve de nombreuses situations paradoxales dans notre société. Certaines vérités de la vie sont parfois complètement contradictoires. Notre existence, nos idées, nos paroles sont bourrées de paradoxes.

- On salue avec courtoisie les personnes rencontrées sur un chemin de randonnée mais on ignore totalement celles et ceux avec qui on partage un ascenseur, on se contente d’admirer nos chaussures.

- Le citadin, à la campagne, porte plainte contre les chants des coqs et les odeurs, mais paye pour se rendre au salon de l’agriculture. Et se réjouit devant cochons, poules et coqs, espérant qu’ils poussent un vaillant cocorico.

- Chacun revendique la liberté, sa liberté, mais les influenceurs sont de plus en plus nombreux et sont de mieux en mieux rémunérés, preuve de leur succès. Jamais le suivisme n’a été autant partagé dans la communauté universelle et virtuelle. Par exemple, à travers la planète on s’est employé à lacérer les jeans, à les user artificiellement…Rappelons que la benne de récupération de vêtements du RELAIS porte l’inscription : sans taches et sans trous. Un jean lacéré partira ou à l’incinération ou au recyclage. Et pourtant, l’heureux acheteur d’un jean en parfait état pourra continuer à découper deux fenêtres pour ses genoux en toute liberté et total suivisme!

- Les français ne se déplacent plus pour voter, mais dénoncent la non légitimité des élus avec seulement X%.

- La FRENCH TECH communique en anglais. Damned ! Goddamn !

- Les produits dont la date de péremption est proche voire atteinte sont retirés des rayons pour être revendus ailleurs. Péremption pour les uns, parfaitement sains pour les autres ?

- Les sites internet mémorisent nos recherches, notre adresse, notre nom et divers autres renseignements mais ne parviennent pas à enregistrer notre choix quant aux cookies. Algorithmes paradoxaux n’est-il pas !

- Il est interdit de téléphoner au volant mais il est autorisé d’être filmé en répondant à une interview.

- Les places de parking sont toujours plus étroites alors que les portières de voiture sont de plus en plus larges et que l’on ne vend plus que des SUV, crossover, pick-up, 4x4 et autres engins encombrants même si on les nomme « compact ».

- Pour des raisons d’hygiène, les cuisiniers portent une toque, un bandana ou une charlotte sur les cheveux mais rien ne protège les longues barbes broussailleuses.

- La seule façon de se qualifier pour un prêt est de prouver à la banque, par l’importance de son patrimoine, que l’on n’a pas besoin d'un prêt.

- Certains achètent des choses dont ils n’ont pas besoin avec de l’argent qu’ils n’ont pas pour impressionner des gens qu’ils n’aiment pas.

- Plus on s’instruit et plus on se rend compte à quel point on ne connait que peu de choses.

- Pour prouver que l’on existe, on fait appel à un réseau virtuel.

- Les français s’insurgent contre l’évasion fiscale mais leurs personnalités préférées sont des évadés fiscaux, installés hors de France !

- Les recruteurs traquent les profils sur les réseaux sociaux mais s’inquiètent si un candidat n’y est pas présent – aurait-il quelque chose à cacher ?

- D’aucuns galopent sur des tapis roulants en salle de fitness mais prennent leur voiture pour rejoindre la boulangerie à 300 mètres, ils raffolent du stepper mais préfèrent les ascenseurs aux escaliers.

- Les états, les collectivités territoriales, multiplient le marketing touristique mais les sites majeurs et les villages tranquilles s’insurgent contre le tourisme de masse.

Ces incohérences sont temporelles, spatiales, sociologiques et se retrouvent, également, dans la langue française :

- Alléger" prend deux "l" alors que "alourdir", un seul

- Il y a deux "r" à "charrette" et un seul à "chariot"

- Il y a deux "n" à "résonner" et un seul "n" à "résonance"

- On écrit "abri" sans "t" alors qu'on dit "abriter"

- On écrit le mot "dix" avec un "x" (qu'on prononce /s/) alors qu'on écrit "dizaine" avec un "z" et "dixième" avec un "x" qu'on prononce /z/

- On écrit "siffler" avec deux "f" et "persifler" avec un seul "f"

- On écrit "la gelée de groseille" et "la confiture de groseilles" (avec un "s")

La typologie des paradoxes n’est pas terminée, on peut, encore, citer :

- Le régime paradoxal qui consiste à manger exclusivement ce qui plaît. Ce stratagème permet de ramener du plaisir et de la collaboration au lieu de l’opposition, et pousse à l’autorégulation plutôt qu’au contrôle forcé.

- Le sommeil paradoxal, période pendant laquelle notre cerveau est actif, alors que nous sommes endormis.

- Les injonctions paradoxales :

C’est une double contrainte, une situation dans laquelle une personne est soumise à deux contraintes ou pressions contradictoires ou incompatibles.

« S’il te plaît ne m’aide pas ! » c’est-à-dire aide moi à ne pas m’aider.

« Sois spontané(e) ! l’individu reçoit l’ordre d’obéir , mais il lui faut désobéir pour obéir.

- Les paradoxes scientifiques, mathématiques, rhétoriques, psychologiques, managériaux…etc.

La liste n’est pas exhaustive et vous devriez pouvoir l’enrichir sans peine.

Pour ma part, je terminerais ces multiples bizarreries singulières, par une dernière pirouette :

« Si je vous dis, que je mens, et que c'est vrai, je serai en train de mentir puisque que je dis la vérité, mais si je mens, est-ce que je serai en train de dire la vérité parce que je mens ? »

Une réponse philosophique est dans ce clip

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