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  • Photo du rédacteurLes instants du temps

Les contingences de l'émotion





Salles de spectacles fermées. Concerts publics interdits.

Apaisons notre frustration. Certains souvenirs témoignent aussi du plaisir d’une « écoute en confiné ».


Il fut un temps "lointain" où je fréquentais les musées, les théâtres, les concerts. S’agissant de ces derniers, je recherchais l’émotion, la chair de poule à l’écoute de certaines musiques ou certains chants. J’avais, également, remarqué que les conditions logistiques de l’environnement avaient une certaine influence sur mes sensations. Je vous donne pour exemple ma participation à un concert en juin.


Une belle soirée de printemps. Je vais écouter

Philippe Jaroussky le célèbre contre - ténor français.



Je ne vais pas l’écouter n’importe où. Le concert se déroule dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles.

Je ne vais pas écouter n’importe quoi. Il va faire revivre Carlo Broschi, surnommé Farinelli, le plus célèbre castrat napolitain.


Je suis prêt pour l’émotion !





Mais.


J’avais oublié les théories de la contingence qui considèrent que les formes d'organisation dépendent des conditions auxquelles elles sont confrontées.

Cette théorie peut s’étendre à l’émotion.


20h45. Je traverse les différentes salles qui mènent à la Galerie des Glaces. Je ne suis pas seul. Je piétine ½ heure avant d’atteindre ma place.

Tiens, je suis installé dans les derniers rangs. Pas grave, il s’agit, surtout, d’écouter l’émotion.


21h15. Derrière moi, les bavardages incessants et sans intérêt m’agressent les oreilles :

« Je suis allé faire des courses, cet après-midi. Il n’y avait personne. Quand démarrent les soldes ?

Je pars en week end à Deauville, je vais devoir signer une absence pour mon petit…

Tu as vu ; l’épouse du préfet est présente …. ».


21h 28. Retard habituel. Le concert était prévu à 21h. Un important personnage (c’est, en tout cas, ce qu’il veut paraître), devant moi, fait son malin avec son smartphone ! Sa femme s’est habillée « soirée de gala » mais elle a les cheveux gras.

Il fait chaud.


21h35. C’est curieux comme le soleil prend son temps pour se coucher. C’est plutôt sympa, il illumine les ors de la galerie, les lustres, les glaces gigantesques. C’est même éblouissant. Et il fait chaud. Pourquoi ai-je mis une veste ? Je crois que je vais la retirer. Et maintenant, où la poser, le dossier arrondi de la chaise ne s’y prête pas. Chute de ma veste.



21h40. Applaudissement. L’orchestre vient de prendre place et accorde ses instruments. C’est bizarre comme ce préalable prend beaucoup de temps.

Et voilà le chef. C’est, en tout cas, ce que je crois avoir compris compte tenu de la nouvelle salve d’applaudissements.

Moi, je n’applaudis pas. Jamais à l’entrée des artistes. Je ne le ferai, éventuellement, qu’après évaluation de leurs performances et proportionnellement à l’émotion créée.

Cette chaleur, ce monde… c’est un peu étouffant. J’enlève un 2° bouton de col, remonte les manches de ma chemise. Je vais finir en caleçon.


C’est parti. Silence religieux …ou royal.


Je ne sais pas ce qu’interprète l’orchestre – je n’ai pas acheté le programme – et cela n’a pas d’importance. Je suis venu pour Philippe.

Qu’il fait chaud ! Ce soleil ne va donc jamais se coucher ! Les dames devant moi s’éventent avec leur programme. Je savais qu’il fallait l’acheter ! Je me rapproche d’elles sournoisement espérant bénéficier d’un zeste de souffle d’air.


Applaudissements…Voilà Jaroussky ? Pas encore.

L’orchestre s’engage dans un nouveau morceau.

Je n’avais pas immédiatement perçu …. les reins, surtout. Je vais allonger les jambes, ça me détendra. Finalement, jambes croisées, c’est pas mal non plus. Posture différente toutes les 5 minutes. Voilà le secret.


Applaudissements. Je ne vois rien de la scène mais je « sens » que Jaroussky est là. Des vibrations dans l’air.

Je retiens mon souffle et la voix s’élance. Plaisir. Arabesques vocales. Virtuosité.

Après quelques minutes, il me semble, pourtant, ne pas retrouver la profondeur sonore du CD ; l’acoustique de la Galerie des Glaces doit y être pour beaucoup. Et puis, Jaroussky chante 100 mètres et 80 rangées de 30 personnes devant moi.

J’applaudis. Je suis venu pour cela. Il faut que ce soit génial. D’autant que tout le monde n’a pas eu la chance d’assister à ce concert.


22h.Tiens, c’est déjà fini. Il n’a chanté que 8 minutes. Entracte ?

Pourtant, tout le monde quitte la galerie, indécis, je me mêle à le foule. J’ai compris, c’est pour l’abreuvoir. Compte tenu de ce monde assoiffé, l’entracte va bien durer ¾ d’heure, et il est déjà 22h, et toujours 30 degrés celsius.

Coup de chance, je déniche une fenêtre ouverte. Un peu d’air. Le soleil est enfin couché en oubliant de rougeoyer le Grand Canal. Dommage.



22h15. Je regagne ma place. Evidemment, tous les participants de la rangée ont attendu que je m’installe pour, en ordre dispersé, me passer devant, m’obligeant à des « debout/assis » qui n’arrangent pas mon réchauffement climatique. Je dégouline !

Rupture de stock en ce qui concerne les programmes-éventails.

Tiens, les invités officiels viennent de passer ; ça va reprendre.


22h30.Applaudissements…les instruments s’accordent…applaudissements…le chef arrive…applaudissements….…sonate avec basse continue…applaudissements…

Ma chaise est en train de se disloquer sous les soubresauts que je lui inflige. Ma voisine a eu la bonne idée de revenir avec une bouteille d’eau et boit goulûment. Je lui souris mais elle range sa bouteille.


22h45. Enfin, Jaroussky revient. Je me redresse. Décidément, je suis trop loin. Je ne vois rien. Je ferme les yeux pour me concentrer sur la promesse d’émotion et parce que les lustres, maintenant allumés, m’éblouissent.

La voix.

Un vrai régal. Elle plane, hésite, butine, se perd dans les étoiles, plonge dans les abysses. Une fraîcheur sans pareil… !

Il fait vraiment très chaud. L’émotion, sans doute.

J’applaudis avec entrain. Dépassé toutefois par les bravos frénétiques de la rangée arrière qui s’est levée comme un seul homme (ou femme) et hurle « BRAVO, BRAVO… ». Une femme, étuvée, tombe en pâmoison. Ma voisine l’asperge et lui donne à boire.


23h.Jaroussky prolonge le plaisir. Les appariteurs sentent que c’est bientôt la fin du concert et qu’il faudra canaliser le public. Ils passent et repassent le long de la rangée, ouvrent, ferment, entrebâillent une porte et je constate que les portes de la Galerie des Glaces grincent et strient la limpidité du Nisi Dominus.

Applaudissements extasiés. Un peu gêné, désireux d’éviter la cohue surchauffée, j’emboîte le pas des premiers partants.


Déçu de ne pas suffisamment saluer l’artiste mais soulagé de «décrampir» jambes et colonne vertébrale.

Un agréable vent frais m’accueille dans la cour. La statue du Roi Soleil me montre la sortie.

Je ne dis rien. Le doute m’assaille.

Aurais- je dû écouter Philippe, allongé dans un fauteuil, un verre à portée de la main, sono à point, dans la paisible fraicheur de ma maison ?


Et pourtant, en écrivant ce post, je revis, avec une certaine nostalgie et amertume, ce souvenir, pas si lointain, du monde d’avant.

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