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  • Photo du rédacteurLes instants du temps

Le Printemps écorché






Le printemps, il semblerait que ce soit maintenant.


Il est vrai qu’en cette fin de Mars, il fait un temps anormalement magnifique. Le ciel est azur.

Pour en profiter pleinement, je me suis installé dans mon fauteuil de jardin, au milieu des plantes. Le soleil m’entraîne chaudement vers une douce torpeur. Je rêvasse.



Le jardin m’a toujours procuré joie, plaisir, émotion.


Contrairement au triptyque de Jérôme Bosch, mon jardin des délices ne se termine pas en enfer, du moins ici et maintenant. Je souhaiterais rester aux deux premiers panneaux et au jardin d’Eden où s’ébattent Adam et Eve, ces improbables premiers humains toujours représentés avec un nombril !

Ce n’est pas non plus le jardin des Hespérides, jardin d’immortalité réservé aux Dieux, ni les jardins suspendus de Babylone ou, encore, les champs d’Asphodèles couverts de fleurs étranges, pâles et fantomatiques.



Mon jardin est, simplement, un endroit de vie qui enseigne la patience, l’humilité et qui garde son indépendance. J’adore la liberté des digitales ou des roses trémières qui choisissent, elles-mêmes, leur emplacement. Je m’amuse de ces asters que l’on avait déplacés mais qui réapparaissent au même endroit 2 ans plus tard…Je m’étonne devant les pavots de Californie qui poussent dans les cailloux et refusent mes terres riches et entretenues.

A propos de pavots, il me faut vous conter le jour où ils ont failli transformer ma vie. Dans ma mémoire, je les appelle : les pavots de l’Alma.



Je travaillais, à cette époque à Paris, dans le 8° arrondissement, cours Albert 1°.

Le trajet vers mon entreprise comportait la traversée du Pont de l’Alma. Traversée qui fut toujours un moment particulier.

Deux impressions dominaient. D’une part, le vent qui, certains matins d’hiver, me frigorifiait et me ralentissait au milieu du pont, d’autre part, le coucher de soleil, le soir, qui découpait la tour Eiffel sur la Seine rougeoyante.

Ce décor était un passage obligé et les photos étaient évidentes pour les innombrables touristes qui sortaient des bateaux mouches. Combien de fois ai je été sollicité pour immortaliser ces instants. C’était avant l’usage des selfies.


Il m’arrivait aussi d’aller saluer le zouave. Où en était la Seine ? sous les pieds, aux talons, aux genoux…je ne l’ai jamais vue aux genoux.

Je prolongeais, quelquefois, mon chemin vers la flamme de la Liberté et ses gerbes de fleurs - fleurs pour la liberté ou pour Lady Di ?


C’est ce que je fis ce jour là. Sans véritablement, en prendre conscience.

Il faut dire qu’en fait, généralement, je traversais la Seine sans m’en rendre compte car j’étais déjà « dans mon travail ».


J’occupais alors le poste de Directeur des ressources Humaines dans une société où les partenaires sociaux étaient particulièrement vindicatifs et n’avaient rien à craindre de la Direction. Les organisations syndicales maniaient la grève avec l’aisance de ceux qui savent qu’en définitive, les jours d’absence seront payés.

C’est dire que je passais des délégués du Personnel, au Comité d’établissement, puis au Comité central d’entreprise, au Comité d’Hygiène et Sécurité, à la Commission de formation professionnelle ….

Régulièrement donc, de bon matin, je révisais mes argumentations, j’imaginais des réponses à des questions vicieuses qui me seraient forcément posées, je cherchais des explications aux décisions inexplicables de ma Direction….

.

Donc, ce matin là, perdu dans ces pensées noires, je m’échappais de mon trajet habituel - sans doute une envie inconsciente de retarder mon arrivée au bureau des tortures - et mes pas m’amenèrent à l’entrée d’un petit parterre sur une place toute proche.


Et…je les vis.


Le printemps avait installé des pavots multicolores dans tout le parterre.

J’étais habitué aux coquelicots monotonement rouges. Là, ils étaient blancs, jaunes, rouges, oranges …une explosion de légèretés colorées, des papillons aux couleurs intenses, un rêve dans mon cauchemar d’humanité revendicatrice.


Et deux jardiniers s’occupaient d’eux, les bichonnaient …et je t’arrache une herbe, et je te verse un peu d’eau, pas trop, juste la bonne dose,…et je te procure quelques fortifiants en granulés bleus…et je te coupe le bouton défleuri …

Et ces jardiniers m’apparaissaient heureux, ils sifflotaient en papouillant les pavots, ils avaient la mine sereine de ceux qui communiquent avec la nature, qui respirent à temps plein la douceur d’un matin printanier.


La vérité m’a aveuglé.

Voilà la vie, la vraie. Finies les réunions insipides dans les effluves d’eaux de toilette bon marché. Finies les prises de tête, pour qui, pour quoi ? Finie cette cravate qui coupe ma respiration et emprisonne mes idées.

Si mes pas m’avaient guidé jusqu’ici, c’est qu’il y avait une raison (j’ai toujours cru aux signes du destin, c’est un excellent alibi quand on ne prend pas sa vie en mains !).

C’est sûr, j’allais me reconvertir en jardinier et plus particulièrement, spécialiste des pavots.


Mon téléphone a sonné. C’était mon assistante me rappelant l’horaire de la réunion matinale.

«Non, pas d’inquiétude, je n’ai pas oublié, je suis là dans 5 minutes »


Et, j’ai exercé encore 20 ans le métier de Directeur des Ressources Humaines.

Si le zouave est toujours en place, si des fleurs saluent toujours la mémoire de Lady Di …ou de la Liberté ?, le parterre de la place est, désormais, engazonnée et les pavots ont disparu.



Mais, revenons dans mon jardin en ce début de printemps. Je continue à laisser dériver mon esprit. Les couleurs se mélangent aux formes, aux odeurs, aux sons. Les chants d’oiseaux signalent que le temps des amours est arrivé.


D’autres chants célébrant le printemps me viennent aux lèvres.


Claude François vibrionnant au milieu de ses Clodettes

Viens à la maison y a le printemps qui chante Viens à la maison tous les oiseaux t'attendent Les pommiers sont en fleurs


Au printemps, au printemps

Et mon coeur et ton coeur

Sont repeints au vin blanc


C'est l'printemps La chèvre de M'sieur Seguin demande Au loup qui a la lippe friande S'il veut pas la sauter avant


Je vous conseille de l’écouter en entier, ça ne manque pas de sel !


Et puis survient Michel Fugain

Le printemps est arrivé, sors de ta maison

Le printemps est arrivé, la belle saison !

L'amour et la joie sont revenus chez toi

On se surprend à fredonner l’air de cette chanson et, c’est soudainement, le « Big Bazar ». Le rythme, la scénographie sont indéniablement d’inspiration Russo-ukrainienne. D’autres images surgissent alors.

Les paroles prennent une signification plus sombre.

Le printemps nous a donné du rire en éclats.

Là-bas, à l’est, les éclats ne sont pas ceux espérés.

Dépêche-toi, dépêche-toi, ne perds pas de temps

Là-bas, à l’est, femmes et enfants ont juste le temps de fuir le désastre.

Taille ton arbre et sème ton champ, gagne ton pain blanc

Là-bas, à l’est, y-a-t-il encore un arbre debout ? La nature existe-t-elle encore ?

L'hirondelle et la fauvette, ont déjà fait leur nid

Là-bas, à l’est, y-a-t-il encore des oiseaux dans le ciel, ou uniquement des drones ?


Me revient, aussi, en mémoire ce poème de Eva Dayer :

Eveil au grand matin, légers coups de tambour Tapés à mes carreaux par une branche en fleur, Un rameau d'olivier dont les pétales pleurent J'y vois présage amer tant mon cœur cogne sourd... Froufrou du liseron et des belles-de-jour Au vent doux la prairie ondoie en friselis Narguée par la grâce d'un écoufle insoumis Tu bats vite, mon cœur, et que tu pèses lourd... Mésanges et pinsons folâtrent tour à tour La sterne en a fini du voyage au long cours Il flotte dans l'air vif mille senteurs agrestes Caché dans les bosquets, le rossignol charmeur À la soie de la nuit, chantera son bonheur... Quand, là-bas, des corbeaux planent, criards, vers l'est.




Le charme est rompu, le printemps est écorché, les fleurs ont pâli et les oiseaux se sont tus.

Je rentre. Je crois que, demain, il va neiger !


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2 Comments


berthejean
Mar 20, 2023

Déjeuner en paix !


La semaine dernière j'ai été invité à participer à une « journée chevalet ».


Le lecteur se demandera ce que cette information vient faire parmi les commentaires sur l’article ci-dessus.


Et bien voilà. Le thème imposé était la chanson de Stephan Eicher « déjeuner en paix ». Je vous livre ici les paroles de cette chanson. Je n’apprécie pas particulièrement la musicalité ni les sonorités de la chanson, mais je dois bien avouer que les paroles interpellent et sont d’une troublante actualité printanière.


J'abandonne sur une chaise Le journal du matin Les nouvelles sont mauvaises D’où qu'elles viennent J'attends qu'elle se réveille Et qu'elle se lève enfin Je souffle sur les braises Pour qu'elles prennent Cette fois Je ne lui annoncerai pas La dernière hécatombe Je garderai…



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berthejean
Mar 20, 2023

Le printemps des maudits.


Oui, les printemps écorchés et sanglants déçoivent nos espérances et sapent notre moral.


Il est vrai que les printemps écorchés et sanglants semblent surtout nous venir de l’est. Qu’ils soient d’Ukraine, de Prague, Syriens ou Arabes, ils nous viennent de l’est.


Il faut bien avouer qu’à notre ouest il n’y a pas grand-chose !


Quoique… Cherchons. Peut-être y a-t-il eu des printemps Irlandais ?

Oui en effet, j’ai trouvé trace d’un printemps Irlandais. En avril 1916, des indépendantistes irlandais prennent les armes à Dublin. Même si l’armée britannique massacre les insurgés (et des civils), l’insurrection de Pâques (« Easter rising » en version originale) est une étape importante dans la longue route du peuple irlandais pour…


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