top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurLes instants du temps

L'art du PITCH





« On devrait fonder une chaire pour l’enseignement de la lecture entre les lignes »


Les lieux classiques de culture viennent de s’entrouvrir. Au mois de mai, fais ce qu’il te plaît.

Cinémas, théâtres, musées, expos, concerts, danse, …après la relâche d’une durée inhabituelle, le retour en scène se confirme.

Après les besoins de culture, réels ou enflammés, exprimés de façon régulière, spectaculaire, parfois ridicule, toute la France est dans les starting-blocks, guettant les premiers « lever de rideau ».

Alors, demandons le programme. Devant l’avalanche de possibilités culturelles offertes, il va falloir sélectionner pour ne pas rater notre première salle.

C’est là que le pitch entre en jeu. C’est là que nous serons, attirés, alléchés, impatientés par ces courtes présentations efficaces, percutantes, impactantes.

C’est là que nous serons dupés, trompés par quelques envolées énigmatiques, quelques locutions sibyllines, mystérieuses, dissimulatrices.




Aussi, l’esprit encore en cours de déconfinement, ne nous jetons pas dans le premier pitch venu car la communication, le buzz, le clinquant, l’apparence, le factice, peuvent remplacer allégrement la réalité objective, la réalité « non augmentée ».

C’est que les pitcheurs (désolé pour ce néologisme), sont aussi des artistes à leur façon. Ils savent manier l’art de dorer la pilule, de transformer le plomb en or.

Vous aussi, avez dû connaître des instants de désarroi, d’incrédulité, devant l’infinie distance entre certains pitches rutilants camouflant des contenus peu glorieux.

De la coupe aux lèvres, il peut y avoir plusieurs pas.

Afin de vous éviter de futures désillusions, je vous propose de décoder ces fulgurances textuelles, ces propos aussi mystérieux que séduisants, et ces envolées lyriques vous promettant la lune.


THEÂTRE


Voici le décryptage nécessaire pour ne pas être réduit au rôle de spectateur abusé, désabusé, trompé par un pitch par trop flagorneur.

Ces clés s’appuient sur l’expérience tirée de deux pièces qui mettent en scène le trio classique du drame: la femme, le mari, l'amant.

Le simple énoncé des titres, auteurs, interprètes est attractif (à découvrir en fin de post). Les 2 pitches, dont on trouvera, ci-après, quelques extraits entremêlés amplifient la perfide séduction. Attention, danger.


  • L’auteur et le récit

Pitch : « Pièce exigeante, complexe, écrite dans une langue simple et épurée ».


Signification : Quasiment un oxymore. La soi-disant simplicité de la langue n’exclut pas l’ambiguïté. Rien n’est plus semblable à une langue épurée que des monosyllabes espacés d’immenses silences. Frémir quand l’auteur estime que la vérité au théâtre est à jamais insaisissable et que Sa quête est précisément ce qui commande l’effort du spectateur. Aussi pourriez-vous être confronté à des phrases énigmatiques comme celle-ci « mon guide allait à la gare et en marchant le long du quai il arrachait tous les bébés des bras de leurs mères qui hurlaient ».

Je peux vous assurer que plusieurs heures de quête seront insuffisantes pour solutionner cette énigme sans, pour autant, entrapercevoir la vérité.


  • La mise en scène

Pitch : « Une mise en scène d'une sobriété et d'une justesse musicale exemplaires » ou encore « le metteur en scène a une approche brute du plateau et il est ennemi de toute sophistication » et, assez fréquemment « la mise en scène est moderne ».



Significations : le décor sera minimaliste (en l’occurrence, des chaises que l’on utilise dans toutes leurs possibilités scéniques), avec peu d’accessoires (une bouteille de whisky et un foulard).

La bande-son peut osciller entre rock métal ou ressembler à des acouphènes.

Le terme « moderne » doit éveiller votre attention.

Par exemple, dans l’une de ces pièces qui se déroule en Russie à l’époque tsarine, vous êtes en droit d’espérer la scène du bal avec des costumes d’époque, chatoyants, des balalaïkas, mais l’adaptation audacieuse propose une pseudo danse en costumes actuels sur la valse à mille temps de Jacques Brel. Dans son île des marquises, il s’en étonne encore !




  • Les acteur(trice)s

Pitch : « La comédienne qui tient ce rôle irradie la scène.

Frémissante, d'une présence à la sensualité toujours troublante, elle est divine.

Les émotions sont à fleur de peau, la poésie est déclamée. »


Signification : Les superlatifs devraient susciter une certaine méfiance.

La sensualité troublante est une perception individuelle. D’aucuns pourraient estimer qu’elle n’est pas vraiment au rendez-vous quand elle se traduit par une voix sans timbre, inaudible (surtout quand la comédienne murmure vers le fond de scène), et avec une indolence confinant à la passivité et l’avachissement.

Quant au monologue final massif et désespéré où l’on comprend que l’héroïne veut se suicider en se jetant sous un train, on peut, raisonnablement estimer que la déclamation, longue, longue, très longue, fiévreuse, plaintive, souffrante, n’est pas aussi poétique que prévue ; on trouve que le train tarde à arriver.

Qui n’a pas espéré le sifflet annonciateur. Qui n’a pas appelé Richard Anthony à son secours.


Pitch : « L’acteur frôle la perfection dans le personnage du mari qui, avec une précision tranchante observe et écoute. »


Signification : N’attendez pas de dialogues séduisants, émouvants ou d’une choquante brutalité. En fait, n’attendez pas de dialogues

Dans ce type de pièce, c’est le silence qui a le rôle-principal.


  • La durée du spectacle

Pitch : « L’heure que dure le spectacle en semble bien davantage, tant l’oppression est prégnante et la tension à la limite du supportable… »


Signification :

Au moins, le pitch comporte quelque prévenance salutaire. Toutefois, la limite du supportable peut ne pas être liée à la tension induite par le récit, mais à celle de votre dos qui ne supporte plus le dossier de votre siège. La prévention consiste à ne pas réserver au milieu des premiers rangs, mais plutôt à proximité des sorties de secours. Certaines pièces durant plus de 2 heures nécessitent l’assistance de l’aplli-pipi.

DANSE


Des errements créatifs, magnifiés par des critiques enjôleuses, peuvent entraîner des désillusions lors de spectacles de danse. Permettez-moi de vous conter l’une de mes stupéfiantes expériences.


Selon la présentation le chorégraphe proposait « de revisiter l’univers de Charlie Chaplin, et de ce Pierrot Lunaire qu’est Charlot, personnage poétique et ambivalent, qui évolue entre la réalité de la rue et l’imaginaire du rêve d’enfant. »

Alléchant, n’est ce pas ?

Entrée dans la salle de spectacle. Les premiers rangs étaient rendus indisponibles. J’ai imaginé que la mise en scène prévoyait des sorties de danseurs vers la salle, le public, une intense communion entre acteurs et spectateurs, ou que Charlot allait renverser de l’eau miraculeusement transformée en confettis multicolores.

Le programme indiquait encore : « le chant, la danse et le théâtre se mêlent dans une dynamique joyeuse et entraînante ».

Super. J’étais assis près de la sono et je profitais pleinement de ce qui m’est, progressivement, apparu comme étant… une musique techno, quasi métal, digne des DJ de clubs préparatoires à la surdité. Des sons étranges tentaient, sans succès, de nous convaincre qu’il s’agissait d’un chant joyeux et entraînant.

Le rythme dansant de la marche de Charlot se transformait, sur scène, en Hip-Hop ou gesticulations bizarres, souvent à ras du sol dans une inquiétante pénombre (et j’ai compris pourquoi il n’y avait personne aux premiers rangs ; les malheureux se seraient situés sous la ligne de flottaison et n’auraient rien vu du spectacle ! en fait, ça n’aurait pas été très grave).

Relativement éloignée de la légèreté, la grâce, la fluidité, l’élévation, cette pseudo danse était animée de mouvements syncopés, marquait une prédilection pour l’aplatissement, révélait une forte attirance pour le corps à corps avec le plancher de la scène !




Le programme annonçait encore « Le spectacle est visuel, plein d’images fortes et insolites ». Côté « insolites », je confirme. Par exemple, ce transfert de veste d’un danseur à un autre, avec hésitations sur le port de la manche … « manche droite, gauche, toi la droite, moi la gauche, je vais essayer sans manches, et si je retournais la veste, et si nous étions plusieurs dans la veste ou dans la manche… ». Moi, spectateur moyen, peu formé aux hallucinations de certains chorégraphes ou scénographes, je cherchais vainement une parodie chaplinesque, une allusion au 8° degré de Charlot, ce Pierrot lunaire.


Derniers propos du programme « des clins d’œil aux situations chaplinesques l et surtout un plaisir intense pour les yeux ». Je n’avais pas imaginé qu’il fallait comprendre ces phrases au 1° degré. En effet, le fond de scène comportait des projecteurs « en contre-jour », en général installés pour donner de l’épaisseur aux comédiens ou danseurs. Ceux là se plantaient directement dans vos yeux et, après de nombreux clignements et des larmes dues à l’agression lumineuse, on ne pouvait que reconnaître que le spectacle, à défaut de plaisir, était effectivement intense pour les yeux. Après 30 minutes de cette garde à vue et interrogatoires avec flash dans les yeux dignes des services secrets les plus ignobles, j’ai fini par avouer que je n’appréciais pas le spectacle et je me suis enfui par la première sortie de secours en maudissant l’auteur du pitch.


CINEMA


Il est possible d’exercer sa sagacité en s’appuyant sur les micro-critiques de Télérama. Nos compétences de cinéphile peuvent s’aiguiser à partir de ces exercices de textes, quelquefois poétiques, souvent hermétiques, quoique censés appeler notre imaginaire et nous conduire vers le film correspondant à nos aspirations.


Examinons les critiques sibyllines de 5 films à l’affiche, pour la rentrée prochaine:

- 1 - Mère Nature & géants pilonnés, une flèche se détourne : adopter une pousse, cette semence de l'avenir, d'une rescousse, en Terre orpheline.


- 2 - Au bout des lèvres, de l'invisible au fantasmé, se libère la lutte d'une époque. Que de ces félines traditions, naisse une griffe d'unisson.


- 3 - Je me rappelle enfant, lorsque j'étais puni alors que c'était pas moi qui avais commencé. Et ben, ce film, c'est ça. Sauf qu'il est béret vert.


- 4- Le théâtre déplié de la misère identitaire accouchera d'une immense scène collective. Et voici peut être le film étendard du ravage à venir.


- 5 - De la mémoire fragmentée à la filiation espérée, l’androïde rêve d’amour et d’éternité. Au crépuscule de l’être, pleurer de ne pas être.

Avez-vous réussi à choisir ? Ces phrases absconses ont elles éveillé votre intérêt pour tel film ou tel autre ?

En fait, il faut faire une confiance aveugle et aller au cinéma les yeux fermés ; ce qui, admettons-le, semble quelque peu antinomique.


Les photos ci-dessous constituent des Indices supplémentaires pour les films 4 et 5


Titres des films à la fin du post.


EXPOS


Aller à la découverte des expos se révélera largement dépendant du pitch, de la communication médiatique avec son lot de félicités et de déceptions.

C’est que les expositions font preuve, assez généralement, d’une distanciation (mot devenu désormais incontournable) exceptionnelle entre le discours, obscur mais prometteur, présentant une œuvre ou une performance.

Ceci est particulièrement vrai pour ce qui concerne l’art abstrait.


Faisons-en l’expérience.

Je vous propose 2 tableaux contemporains, sous vos yeux interrogatifs. Pouvez-vous sans hésitation associer un tableau et son pitch ? celui-ci aurait-il pu être déterminant dans votre choix ?


Tableau 1



Tableau 2


Pitch du tableau 1

« Les différences de couleur qui reprennent la dialectique néoplasticiste identité / différence, exaltent le dynamisme optique de la structure a magnétique puissance visuelle, décuplée par l’éblouissement provoqué par la densité du jaune et le format exceptionnel de la toile, traduit magnifiquement « la nouvelle énergie » qui se reflète également dans l’intensité de couleur et de mouvement de son œuvre ».

Si vous êtes, effectivement, ébloui par la magnifique puissance visuelle, la densité du jaune qui reflète la nouvelle énergie, toutefois, vos sens abusés peuvent, légitimement, rester hésitants.


Voyons-voir si la proposition concernant le tableau 2 comporte quelques descriptions plus concrètes et compatibles avec une compréhension non professionnelle.


Pitch tableau 2

« L’essentiel de ce tableau est dans l’équilibre des éléments qui se répondent dans un jeu d’oppositions et de complémentarités. L’accent principal est mis sur les trois couleurs primaires jaune, rouge, bleu, qui articulent la composition.

Dans ce tableau les rectangles et carrés apparaissent en suspension comme un jeu de cartes flottant dans la vacuité des aires.

Loin de n’être qu’un simple manifeste-synthèse des différentes périodes de l’art de l’artiste, ce tableau miroitant et mystérieux n’arrête pas d’interpeller le spectateur. »

Le terme « interpellé » est un euphémisme.


Adepte de l’art abstrait, vous avez repéré que le pitch 1 correspond, en fait, au tableau 2 et inversement. Les pitches sont quasiment interchangeables et les mots pour le dire, comme dans les discours politiques ou de management, peuvent s’emboiter de façon aléatoire.


Si, au contraire, vous avez « tout faux » et que votre approche picturale s’avère défaillante, je ne saurais trop vous conseiller le livre de Françoise Barbe-Gall « Comment regarder et analyser une œuvre d’art ? ».

Devenus, alors, fins connaisseurs, à partir du pitch, les œuvres vont, désormais, s'offrir comme des évidences.


Par exemple prenons un tableau d’un peintre célèbre puisque ses œuvres valent de 2 à 75 millions de dollars.

Pitch tableau 3

«Le peintre donne dans ses œuvres une profonde autonomie à la couleur, accompagnée d’un sens accru de la composition, dans laquelle un élément donne plus que d’autres, la sonorité dominante de l’œuvre. Il déforme, biaise, recompose, imprègne de ses sentiments ou de sa spiritualité cette nouvelle nature. La couleur s'affranchit de l'objet, l'objet s'affranchit de la couleur… Autant de preuves renversantes d'une nouvelle peinture émancipée, pleine de verdeur ».

Ce discours relativement ésotérique, cette logorrhée pour initiés, désormais, ne vous effraie plus et vous avez une idée assez sûre de l’œuvre en question que je vous invite à découvrir.


Si ce n’est pas encore le cas, je vous propose une dernière tentative avec

le pitch du tableau 4.

« Les toiles de l’artiste sont fortes en couleur, impactantes, riches en matières et toujours ornées de sa “marque” : une double tête de loup stylisée, symbole de la sauvagerie des hommes qu’il essaie de “dompter” à travers l’art.

Son “langage” se veut simple, universel, porteur d’espérance.

Si, dans un premier temps, son œuvre est dominée par le rouge et le noir peu à peu, ses œuvres gagnent en douceur comme en couleur. Très vite, il introduit le jaune. Cette nouvelle couleur témoigne de la capacité de l’artiste à s’apaiser, à renouer avec la vie, tentant de rendre visible l’invisible ».

Si, malgré ces phrases explicites, vous avez, encore, un doute, suivez ce lien pour dissiper toute ambiguïté et désarroi.

Avez-vous repéré la double tête de loup ?



Bien évidemment, ces ressentis n’engagent que l’auteur de ce post, sans doute trop peu éduqué aux subtilités artistiques et au désir, sans cesse renouvelé, de dépasser les schémas culturels convenus. J’espère que les lecteurs de ce post, surtout celles et ceux qui ont apprécié ces spectacles ou ces œuvres feront preuve d’humour et de tolérance.


Loin de moi l’idée de stigmatiser ces différentes œuvres, leurs auteurs et leurs interprètes. Je ne fais que mesurer le grand écart avec la prose des rédacteurs des pitches dont l’indéniable talent est de réussir à éveiller notre curiosité.

Tous font preuve d’une grande créativité.

C’est à nous de percevoir ce grand écart qui existe parfois entre ces deux créativités afin d’éviter la mauvaise surprise, mais, aussi, de rester suffisamment ouvert car on n’est pas à l’abri de la bonne surprise.


A ce propos , je vous convie à ce que je crois être une bonne surprise avec ce sketch des Inconnus qui nous parle de publicité et qui, datant de 2007, étonnamment, reste d’actualité.


On peut également écouter cette chanson, qui traite de l’Art ou du cochon, dont les mots évoquent le dadaïsme et la remise en cause de toutes les conventions et contraintes.


Références des différentes œuvres

  • Théâtre

Dispersion de Harold Pinter avec Carole Bouquet et Gérard Desarthe

Anna karénine - Livre de Tolstoï, adaptation et mise en scène de Gaëtan Vassart avec Golshifteh Farahani

  • Danse

« Chaplin in the Mouv », chorégraphie de Bruce Taylor- 2010

  • Peintures

Tableau 1 / Pitch2

Jaune-rouge-bleu, de Kandisky

Tableau 2 /pitch 1

New-york City, de Mondrian

Tableau et pitch 3

Birgitt matter de Sai Tuombli,

Tableau et pitch 4

Renaissance de GHASS

  • films

1 - Woman at War de Benedikt Erlingsson. Prix SACD - Cannes - 2018

2 - Black Panther de Ryan Coogler oscar du meilleur film - 2019

3 - Rambo de Ted Kotcheff

4 - Les misérables de Ladj Ly Oscar du meilleur film international - 2019

5 - BLade Runner Denis Villeneuve Oscar meilleur effets visuels - 2018




Inscrivez-vous pour être informé du dernier post.


Partagez sans modération.


Enrichissez ce billet avec vos commentaires.


(voir ci-dessous).



27 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout

1 Comment


docdico
Mar 20, 2023

Article passionnant et fort bien troussé. Merci à l’auteur.


Je savais que j’en avais un! J’ai cherché, j’ai cherché et j’ai trouvé. Il était blotti sur une étagère entre un roman policier et un livre de cuisine. J’ai cherché et je l’ai trouvé mon recueil de pitchs !

Un recueil, une encyclopédie, une compilation, une anthologie de pitchs. Des dizaines, sans doute des centaines de pitchs. Je vous en livre quelques-uns.


Château de Montreuil.

« Le charme british à la Française ».

Lindsay et Christian Germain, propriétaires de ce manoir à deux pas de Touquet et du Tunnel sous la Manche, ont pris le meilleur des deux rives pour faire de cette adresse un « must ». Quand le charme…


Like
Post: Blog2_Post
bottom of page