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  • Photo du rédacteurLes instants du temps

Fenêtre sur ...




Fenêtre sur….la mer, la montagne, la forêt…non !...

Fenêtre sur un camping-car !

Tous les jours, de ma fenêtre, je vois un camping-car. L’histoire pourrait être banale, mais laissez-moi vous conter la suite, étonnante, extravagante, saugrenue, insolite, mystérieuse !


Devant cette fenêtre, au-delà de la haie, se situe une rue normale, urbaine, très fréquentée, avec des places de stationnement classiques, sauf qu’elles sont encore gratuites. Oubli de la ville ? Evidemment, ces places sont très convoitées et abritent, régulièrement, en plus des voitures de tourisme, quelques camionnettes d’artisans plus ou moins mobiles au fil des jours. Jusque-là, tout reste banal. Mais le mystère prend forme.


Le 8 février, 7h45, un camping-car est stationné ! Non pas un camping-car original qui attire l’œil et prête à sourire.




Non, un camping-car classique pour touriste moyen, de bonne facture mais sans excès mais pas petit modèle, sans signe extérieur d’exubérance. Néanmoins, je l’avais remarqué. Dans cette rue, j’avais déjà vu, sans quasiment sourciller, d’immenses cars de tourisme double-desk avec toilettes incorporées, moteurs allumés pour la climatisation, dans l’attente du moment de récupération de leurs grappes d’excursionnistes exsudant.

Mais, cette fois-ci, la vue de ce camping-car m’avait alerté.je sentais que c’était différent. Intuition, prémonition, flair divinatoire ?



Mon 6° sens ne m’avait pas trompé. Cette situation était bien étrange, car, deux mois plus tard, le camping-car est encore là, toujours là , devant ma fenêtre. Je peux en attester car, le matin en remontant les volets, instinctivement, mes yeux traînent dans la rue et…je vais vous narrer, par le menu, cette étrange aventure.


Jour 1 : « Tiens, un camping-car devant chez nous, de l’autre côté de la rue». Pas banal, mais jusque -là, tout va bien.


Jour 2 : « Tiens, le camping-car est encore là ». Il n’y a, pourtant, rien de particulier à visiter dans les environs immédiats. Peut-être des voisins qui préparent leur véhicule pour quelques jours de vadrouille. D’autant que ces jours nous sont, désormais, comptés.


Jour 5 : « Tiens, le camping-car est toujours là ». Il s’agit, peut-être de touristes qui ont décidé de parcourir la ville de fond en comble. Cette place de parking n’est pourtant pas réglementaire, et surtout pas agréable. Il y a, par ailleurs, des endroits destinés à ce parcage vacancier, et mon œil avisé a perçu que le véhicule n’était prolongé, ni par des cycles, ni par des motos, ni par des engins de déplacement personnels…le doute s’installe. Il y a intrigue sous roche. L’imagination s’échauffe.


Jour 8 : « Là, il y a un problème ». J’ai sorti les jumelles pour visionner au travers des vitres. Rien. Ce soir, j’irai vérifier si des lumières intérieures témoignent de quelque signe de vie. Curiosité malsaine ? Que nenni, voisin vigilant et responsable.


Jour 10 : « Toujours là ». S’agirait-il de quelque situation d’espionnage, de dépistage de quelque trafic ? Serait-ce la douane ? Je réfléchis au contenu de mon frigo. Saucisses de Francfort, fromage de Hollande, vin italien, culture de quelques herbacées, a priori, tolérées… D’ordinaire, les camionnettes destinées à cette vigilance sont bien closes, d’une neutralité confondante ; je dois en conclure que cette interprétation et mon inquiétude sous-jacente n’ont pas lieu d’être. Je suis hors soupçon.

Mon imagination dérive, alors, vers des idées plus sombres mais d’un réalisme vérifié trop régulièrement. Quelqu’un pourrait être détenu dans ce véhicule…Un otage, par exemple, on lui coupe un doigt par jour de retard de rançon.

Déjà mort, peut-être. Non-assistance à personne en danger. Il faut en avoir le cœur net.

A 10h, j’ai traversé la rue et rodé autour du lieu du crime, en promeneur tranquille, sifflotant, imperméable passe–partout, chapeau et lunettes de soleil… C’est à ce moment-là que j’ai pensé à l’inspecteur Gadget…Trop tard pour reculer, l’action était en cours.





Sur la pointe des pieds, regard furtif par la lunette arrière. J’ai relacé mes chaussures tout en reniflant avec ardeur. Renifler, humer l’air ambiant, c’est un stratagème issu de mes lectures de thrillers. …mais, malheureusement, peu opérant avec le masque sur le nez.


Rien. Aucune preuve matérielle. Simplement des déductions et intuition insuffisantes pour appeler le GIGN.


Jour 12 : « Il a bougé…de 3 mètres ; Juste reculé de 3 mètres. ». Je n’ai rien vu venir…et, voilà un fait concret, la matérialisation d’une présence humaine. Le mystère se dissipe. Demain, le camping-car sera sur les chemins buissonniers.


Jour 15 : « Il est revenu à sa place initiale ! ». Que se passe-t-il ? Faux départ. Y aurait-il eu défaillance du démarreur, de la batterie, l’oubli des sandwiches, de la carte vitale ?

Trop étrange. Mon devoir de citoyen me conjure d’en référer aux autorités. Délateur, quasi sycophante ? pas du tout, vous avez lu dans tous les bons romans, vu dans les séries télévisées que toute bonne police commence par une enquête de voisinage à la recherche du quidam qui a tout aperçu de sa fenêtre. Je ne ferais qu’éviter un retard préjudiciable à l’émergence de la vérité.


Jour 18 : « A nouveau, il a reculé de 3 mètres ! ».

Il avance et il recule, comment voulez-vous que je ne sois pas incrédule !


Il avance et il recule

sans doute, au crépuscule,

3 mètres en avant, 3 en recul,

c’est un bien étrange véhicule

et que signifie ce manège ridicule ?

Pourvu qu’il circule avant la canicule

sinon, je crains que ma raison ne bascule,

et que je ne puisse terminer cet angoissant opuscule….


et, il serait dommage que vous ne connaissiez pas les péripéties suivantes, ni le dénouement final. Le suspens est total, la tension insupportable.


Jour 21 « Ce manège se perpétue dans le temps et ce court espace».

Serait-ce un conducteur qui s’entraîne ? Dans mon imaginaire enfiévré, un nouveau récit s’impose : un voisin aurait acheté ce camping-car en vue de promenades métropolitaines futures. Je reconnais que l’idée du camping-car est intéressante compte tenu de l’absence d’offres restauratrices et d’aisance pour des parcours un peu longs. Et…pas de chance, ce futur conducteur aurait raté son permis. J’imagine son désespoir noyé dans l’alcool face à cet investissement, cette immobilisation quasiment immobile. On ne peut pas croire qu’un déplacement de 3 mètres soit digne d’un camping-car et le paysage, globalement, ne marque pas de différence notoire sur 3 mètres et soit susceptible de rentabiliser ce mobile sédentaire.


Jour 24 : « Tous les 3 jours, il parcourt 3 mètres en avant ou en arrière et …personne. » Ce camping-car est autonome, bourré d’intelligence artificielle. Je suppose que des scientifiques, des équipes de chercheurs du CNRS, et on n’en manque pas contrairement à ce que laisserait supposer l’absence de résultats, sont penchés sur des équipements informatiques dans une base souterraine sécurisée en train d’élaborer des algorithmes , des modèles qui décideront de notre avenir vacancier.

Il semble ne bouger que la nuit. Incognito. Qu’en déduire ? Suis-je seul à avoir percé le stratagème ? Suis-je en danger ?


Jour 25 : « Le camping-car fait, désormais, partie du paysage. Sa présence, visible de la fenêtre est devenue normale... Je traîne encore un peu dans l’environnement, nonchalamment, de l’air du type qui ne se doute de rien, qui n’a rien vu. Je feins l’indifférence.

Mais, qu’on ne se méprenne pas, je reste complètement aux aguets, essayant, en totale persévérance, de découvrir l’auteur du phénomène, le matin, à l’heure des repas, la nuit aussi, car j’ai compris que j’avais affaire à un conducteur sournois, dissimulateur, rebelle aux règles de bien séance.


Jour 30 : « Il est encore là…et je m’en fous ! L’aller-retour de 3 mètres est lassant ». Ce n’est pas un camping-car anodin qui va m’obséder. Je retourne à ma vie d’avant. Je l’ignore avec une morgue incommensurable.


Jour 40 : Œil distrait par la fenêtre. Surprise, étonnement, Stupeur, stupéfaction, « Le camping-car n’est plus là !». Le sagouin a profité de mon coupable relâchement. Je reste penaud avec un mystère sur les bras, non solutionné, bon pour les archives, les affaires classées. Cold case.


Un seul camping-car vous manque et la rue est dépeuplée.




Cette anodine et dérisoire histoire m’a, pourtant, fait découvrir une conséquence inattendue des manifestations psychologiques et sociologiques du confinement. Nous avons appris à regarder par la fenêtre. Nous avons vu, redécouvert notre environnement.

Enfermés, nous nous sommes ouverts au monde.

Pour aller plus loin dans cette quête de l’au-delà, de cet extérieur si proche et tellement absent, pour synchroniser le « moi profond » avec le rien Universel, pour satisfaire le désir de développement personnel associé à la révélation de l’autre, je me suis mis en quête de phénomènes identiques, j’ai recherché les situations dans lesquelles l’univers était au bord de la lorgnette et j’ai découvert que plusieurs personnalités , elles aussi, n’avaient pas hésité à se pencher, régulièrement, à leur fenêtre pour se fondre dans l’absolu.

( cette transition est-elle suffisamment absconse pour paraître plausible?)


Alfred Hitchcock, dès 1953, avec « Fenêtre sur cour » avait déjà encouragé James Stewart à passer son temps à la fenêtre pour apercevoir Grace Kelly.

Et que dire d’Emil Cioran qui, entre 1941 et 1945 ouvrait une fenêtre sur rien : « L'imbécile fonde son existence seulement sur ce qui est. Il n'a pas découvert le possible, cette fenêtre sur le Rien ».

Par la suite, le regard à la fenêtre est devenu moins profond, plus prosaïque.

- Avec « fenêtre sur cour » il est devenu judiciaire.

Sur Arte, Elise Costa produit un podcast des faits divers, des crimes et des procès. Elle raconte «sans haine et sans crainte» l’inhumain en chacun et l’humain en nous tous.

- Il est également cinéma avec les fenêtres sur courts-métrages,

- Puis bande dessinée avec Fenêtre sur cour d'école de Laëtitia Coryn; magnifique album tout en délicatesse, qui nous montre la vie enfantine de la cour de récréation.

- Un peu de neuropathologie avec « Une fenêtre sur les rêves » de Isabelle Arnulf

Enfin, le confinement fut l’occasion d’ouvrir sa fenêtre pour applaudir, mais, aussi pour faire œuvre de créativité.

- la Maison de la Poésie a invité tout un chacun à transformer ses fenêtres en poèmes.



- Un site ( windows swap) a proposé de s’évader en partageant la vue de sa fenêtre avec le monde entier. Les vues sont aléatoires et il est amusant d’essayer de reconnaître l’endroit.


Ne pensez pas que l’on puisse se libérer si facilement de la vision, du mirage d’un camping-car. Quelques jours suivant la fin de l’aventure, je suis allé traîner ma nostalgie vers le dernier emplacement connu. Je n’espérais rien en particulier, peut-être, inconsciemment, la présence d’une tache d’huile ….mais, d’autres véhicules avaient pollué les éventuels indices. J’ai continué mon chemin et… il était là, devant mes yeux médusés, hagards, à 100 mètres au-delà de son refuge initial.

Je ne sais ce qui a prévalu : joie, amertume. Avait-il décidé de subjuguer d’autres fenêtres ? coupable trahison ou simple erreur de GPS ?




Selon Jean Rostand, « Il y a beaucoup de mystère dans le choix de ce qui nous paraît digne d’être noté », aussi, m’a-t-il semblé préférable d’oblitérer ce mystère aussi insignifiant que négligeable et de continuer mon chemin :

- en reprenant la comptine oubliée du grand cerf qui regardait par sa fenêtre,

- et en retrouvant l’espoir vu de la fenêtre de Grand Corps Malade.




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1 comentario


berthejean
21 mar 2023

Vraiment étrange ce véhicule

Qui avance et qui recule,

De droite de gauche tel un pendule,

Dans une alternance ridicule.


Serait-ce l’auteur qui affabule ?

Confiné dans son cubicule,

Il n’a pu fixer sur pellicule

Du camping-car le matricule !


Ou plutôt de sa fenêtre,

N’a-t-il pas un jour vu naître,

L’espoir d’enfin connaître

Une belle évasion champêtre ?


N’a-t-il pas de sa fenêtre,

Rêvé de ces longs kilomètres,

Qui loin de son périmètre,

Du confiné tueraient le mal-être ?


J.B.

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